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Un paradoxe apparent

La crise alimentaire ayant cours à l’échelle mondiale n’inquiète pas particulièrement les consommateurs canadiens, puisqu’ici les aliments ne coûtent que 2,2% de plus que l’an dernier. Ailleurs, par contre, la hausse est substantielle.

En Ukraine, les prix ont augmenté de 32% depuis l’an dernier, en Égypte, de 26%, et en Chine, de 20%. Plus près de chez nous, les consommateurs mexicains ont vu leur facture d’épicerie augmenter de 6,5% depuis un an. Les Américains quant à eux doivent débourser environ 5% de plus pour les mêmes produits alimentaires. Mais une majoration importante va vraisemblablement se produire d’ici 2015 au Canada si le prix des céréales se maintient à un niveau élevé.

L’augmentation mondiale du prix des denrées alimentaires n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle à long terme. Alors que des risques de famine sont réels dans plusieurs pays, souhaiter des prix élevés en alimentation semble paradoxal. Cependant, comme dans tous les domaines, des prix qui reflètent les conditions du marché sont un puissant incitatif pour la satisfaction de la demande. La bonne nouvelle, c’est que cette hausse amènera l’ensemble des pays vers une croissance de l’offre, souhaitable pour l’ensemble des consommateurs partout dans le monde.

Les producteurs et les distributeurs alimentaires au sein des pays développés sont réticents à transférer les impacts de la hausse des coûts de l’énergie et des matières premières aux consommateurs, parce que la demande pour les aliments est perçue comme étant élastique, c’est-à-dire que les consommateurs sont relativement sensibles à un changement de prix. N’empêche que tôt ou tard, les consommateurs devront assumer une augmentation des prix au détail. La décision récente de Dow Chemical d’augmenter les prix de ses produits (notamment des pesticides) de 25% pourrait devenir un véritable coup de barre pour l’industrie agroalimentaire d’ici un an.

Avec l’augmentation du prix des denrées sur les marchés mondiaux, loffre de céréales est assurément à la hausse puisque les agriculteurs sont encouragés à produire davantage. Pour ce faire, ces mêmes cultivateurs acquièrent des engrais et de la machinerie de haut rendement afin d’augmenter leur capacité de production. Or, c’est un luxe que seuls les agriculteurs des pays riches peuvent se payer à l’heure actuelle. Ceux qui oeuvrent dans les pays en voie de développement agonisent et peinent à se nourrir eux-mêmes.

Le rôle des producteurs d’engrais

La création de richesse dans les pays en développement passe par l’agriculture. En mettant à contribution ces pays, la crise alimentaire a de meilleures chances de se résorber. Une augmentation de la capacité de production et de distribution des pays occidentaux en matière d’engrais aidera ces pays qui en ont grandement besoin.

Depuis peu, tout comme les denrées agroalimentaires, le prix des engrais essentiels à l’agriculture a augmenté de façon fulgurante. Par exemple, le prix d’une tonne de potasse, en mai 2007, était de 183$US. Maintenant, le prix oscille autour de 525$US et on estime que ce prix pourrait dépasser le seuil de 800$US, d’ici la fin de 2008. Cette hausse s’explique en partie par la demande accentuée de pays de l’Asie pacifique et de l’Europe puisque les agriculteurs de ces régions désirent accroître leur productivité. Par contre, le manque d’approvisionnement en potasse est le véritable responsable de cette hausse vertigineuse. En effet, le prix de la potasse s’est maintenu à un niveau relativement bas depuis plusieurs années. Or, la dernière mine de potasse au monde à avoir vu le jour date de 1983.

Maintenant, plusieurs compagnies annoncent des investissements de plusieurs milliards de dollars afin de démarrer de nouvelles exploitations. Le démarrage d’une seule mine de potasse peut coûter de deux à trois milliardsUS.

Un plus grand approvisionnement en engrais aura pour effet d’augmenter la production de céréales et de diminuer les prix sur les marchés. Les engrais seront plus abordables que jamais et les pays en développement auront alors accès à des produits qui leur permettront d’améliorer leurs situations économique et agricole. Avec des investissements adéquats dans les infrastructures et les engrais, le Kazakhstan, la Russie et l’Ukraine auraient 32 millions d’acres de terres agricoles à offrir au monde.

Ces investissements arrivent en même temps que l’augmentation des prix des aliments. Il faudra être patient. Dans le cas de la potasse, il faut de cinq à sept ans avant d’extraire quoi que ce soit. En fin de compte, il sera possible de profiter d’un meilleur ajustement de l’offre et de la demande à partir de 2020.

En attendant que la chaîne de l’industrie alimentaire profite de ces ajustements, il y a beaucoup à faire au Canada pour faire lever les verrous de la gestion de l’offre qui paralysent les mécanismes d’ajustement des marchés. Au nom des pays en développement, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a lancé un cri d’alarme lors du sommet sur la crise alimentaire à Rome en mai dernier. D’emblée, l’organisme a estimé que le monde doit produire plus de céréales et éviter les politiques protectionnistes et subventionnaires qui entravent le potentiel extraordinaire de production alimentaire encore en jachère.

Sylvain Charlebois is Associate Researcher at the Montreal Economic Institute.

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