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Textes d'opinion

Le Québec doit renoncer à la bourse du carbone

Plusieurs provinces cherchent actuellement à faire invalider la taxe fédérale sur le carbone. Lundi, le premier ministre du Québec a fait savoir qu’il allait joindre sa voix à celle de ses homologues afin de défendre devant la Cour suprême l’autonomie des provinces dans le choix des politiques de lutte contre les GES.

Le bras de fer entre Ottawa et les provinces occulte pourtant un problème fondamental : tant la taxe carbone que le marché du carbone (qui est l’équivalent d’une taxe) ne sont présentement pas appliqués de la bonne façon. En plus d’être nuisibles, ils sont inefficaces.

Un cadeau à nos concurrents

Même si les provinces finissent par avoir gain de cause pour tarifer le CO2 comme elles l’entendent, la bourse du carbone – à laquelle participent les entreprises québécoises – restera nuisible à la compétitivité de nos entreprises. La taxe fédérale souffre aussi de cette lacune.

Le problème est le même dans les deux cas : dans une économie où les importations et les exportations représentent une part significative du PIB, comme c’est le cas pour le Québec et le Canada, une taxe sur le carbone qui ne s’applique qu’aux producteurs locaux les rend moins concurrentiels. Pour que les entreprises du Québec ne soient pas pénalisées par le coût des permis d’émissions, il faudrait que la bourse du carbone soit adoptée par la plupart de nos partenaires commerciaux.

Les États-Unis, qui sont notre principal partenaire, ne taxent généralement pas les émissions de GES (la Californie fait partie du marché du carbone avec le Québec, mais elle n’a que peu de relations commerciales avec nous). Les entreprises américaines bénéficient donc d’un avantage concurrentiel et peuvent vendre leurs biens et services moins cher.

Cela vaut autant pour les entreprises américaines faisant des affaires au Québec que pour celles basées aux États-Unis, et qui sont en concurrence avec des exportateurs québécois. Le problème est le même pour le commerce interprovincial : les divergences entre les régimes de tarification du carbone à travers le Canada créent des distorsions concurrentielles qui nuisent à certaines entreprises ou qui en avantagent d’autres injustement.

Dans ce contexte, l’avantage d’une taxation harmonisée du carbone au Canada apparaît plus évident, alors que l’on cherche justement à réduire les barrières au commerce entre les provinces. On peut aussi comprendre plus facilement les positions de l’Alberta, de l’Ontario et de la Saskatchewan face à la taxe fédérale. Celle-ci atteindra 50 $ la tonne de GES en 2022, alors que le prix du carbone au Québec pourrait demeurer autour de 23 $ la tonne.

C’est d’ailleurs pour permettre au Canada d’être plus compétitif que la taxe sur les ventes des fabricants a été abolie il y a plusieurs années pour être remplacée par une taxe sur la valeur ajoutée – la TPS –, qui n’entraîne aucune discrimination entre les entreprises, qu’elles soient locales ou étrangères.

Taxer la consommation et non la production

Si, au Canada, on devait adopter une taxe sur le carbone au Canada sans que nos partenaires commerciaux le fassent, il faudrait que celle-ci soit une taxe sur la consommation de carbone et non une taxe sur sa production. Lorsque vous mettez de l’essence dans votre voiture, la taxe sur le carbone s’applique, peu importe si le pétrole provient du Canada, de l’Algérie ou des États-Unis. Il faudrait qu’il en soit de même sur tous les produits de consommation.

Ce n’est pas une question de qui payera la taxe. Les entreprises vont la refiler aux consommateurs quand ils le pourront, et l’absorber lorsque leurs concurrents étrangers n’auront pas à la payer. Il ne faut pas être économiste pour deviner ce qui adviendra de la santé financière de nos entreprises et nos emplois dans une telle situation…

De plus, pour que cette taxe à la consommation soit équitable, elle doit être fiscalement neutre pour les consommateurs, soit en abaissant de façon correspondante le fardeau fiscal, soit en retournant les revenus générés par la taxe directement dans la poche des contribuables.

Enfin, l’exemple européen illustre les limites à taxer la production. Plusieurs pays se targuent d’avoir diminué leur production de GES, mais les produits qu’ils consomment sont souvent fabriqués dans des pays émergents, dont les bilans environnementaux sont passablement moins reluisants.

En somme, si les provinces désirent taxer les émissions de GES, elles ont tout intérêt à harmoniser leurs politiques de taxation. Celles-ci devraient cependant viser la consommation du carbone, et non sa production. Quant au Québec, la conclusion ne fait pas de doute : la bourse du carbone, dans laquelle notre province fait pratiquement cavalier seul, doit être abandonnée.

Luc Vallée est chef des opérations et économiste en chef à l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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