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Trop réduire les prix des médicaments les rendra moins accessibles

Le gouvernement du Canada entend changer la façon dont le prix des nouveaux médicaments brevetés est établi, et réduire jusqu’à 70 % le prix maximum auquel ceux-ci peuvent être vendus. Les malades pourraient payer très cher cette réforme. Si elle va de l’avant et qu’elle ne tient pas compte des effets pervers des systèmes de prix de référence, qui sont désormais bien documentés par divers organismes internationaux, les Canadiens pourraient voir leur accès aux nouveaux médicaments ralenti ou même compromis.

En lien avec cette publication

Trop réduire les prix des médicaments les rendra moins accessibles (La Presse+, 18 avril 2019)

Canadians will wait longer for new medicines if Health Canada gets its way (National Post, 23 avril 2019)

Entrevue avec Mathieu Bédard (Mario Dumont, LCN-TV, 18 avril 2019)

 

Ce Point a été préparé par Mathieu Bédard, économiste à l’IEDM. La Collection Santé de l’IEDM vise à examiner dans quelle mesure la liberté de choix et l’initiative privée permettent d’améliorer la qualité et l’efficacité des services de santé pour tous les patients.

Le gouvernement du Canada entend changer la façon dont le prix des nouveaux médicaments brevetés est établi, et réduire jusqu’à 70 % le prix maximum auquel ceux-ci peuvent être vendus(1). Les malades pourraient payer très cher cette réforme. Si elle va de l’avant et qu’elle ne tient pas compte des effets pervers des systèmes de prix de référence, qui sont désormais bien documentés par divers organismes internationaux(2), les Canadiens pourraient voir leur accès aux nouveaux médicaments ralenti ou même compromis.​

Une sélection de pays biaisée

Au Canada, le prix plafond des médicaments est fixé par le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB), un organisme fédéral. Le CEPMB tient compte de différents facteurs, notamment du prix des médicaments à l’étranger, grâce au système des prix de référence. Cette méthode consiste à tenir compte des prix en vigueur dans certains pays choisis afin d’établir les prix auxquels les médicaments peuvent être vendus. Un nombre important de pays utilisent ce système, dont 28 pays de l’Union européenne(3). C’est aussi le cas du Canada, dont le panier de référence est composé de l’Allemagne, des États-Unis, de la France, de l’Italie, de la Suède, de la Suisse, et du Royaume-Uni, soit des pays à l’économie semblable et où un nombre comparable de médicaments sont disponibles.

La réforme du CEPMB vise à changer cette liste pour la faire passer de sept à douze pays. On enlèvera de la liste actuelle les États-Unis et la Suisse, où les prix des médicaments sont élevés (et où plus de médicaments sont accessibles), pour les remplacer par l’Australie, la Belgique, la Corée du Sud, l’Espagne, le Japon, la Norvège, et les Pays-Bas(4), où les prix sont généralement plus bas et où, en moyenne, moins de nouveaux médicaments sont lancés.

Santé Canada n’a d’ailleurs pas caché ses intentions : elle a uniquement choisi des pays où les prix des médicaments sont réglementés(5). Bien que l’intention soit de faire baisser les prix, le résultat net sera vraisemblablement une hausse des délais de lancement des nouveaux médicaments. D’ailleurs, ces délais sont plus longs qu’au Canada dans quatre des sept nouveaux pays ajoutés au panier de référence du CEPMB (voir la Figure 1).

Figure 1

Il s’agit simplement d’une question d’incitations : les fabricants seront évidemment portés à lancer les médicaments en premier là où les prix sont plus élevés, afin de financer les importants coûts de recherche et de recouper leurs investissements. En revanche, ils retarderont les lancements là où les prix sont faibles, d’autant plus que dans de nombreux cas, ces prix seraient ensuite utilisés comme référence dans d’autres pays. Ce phénomène a été documenté entre autres en Belgique, où les médicaments sont souvent lancés tardivement, puisque les prix y sont moins élevés(6).

Les Canadiens sont présentement choyés lorsqu’il est question de nouvelles molécules. Entre janvier 2011 et août 2018, 21 % des nouveaux médicaments vendus au Canada, soit 77 nouvelles molécules, ont été soit uniquement lancés au Canada et aux États-Unis, ou y ont été lancés avant les autres marchés majeurs, c’est-à-dire la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni(7).

Alors que les Canadiens ont jusqu’à maintenant été parmi les premiers à avoir accès aux innovations pharmaceutiques, une baisse des prix maximum allant jusqu’à 70 % pourrait les catapulter à la fin de la séquence de lancement(8). Le lien entre la réglementation des prix et le rang dans cette séquence est en effet bien établi(9).

Pour les médicaments contre le cancer, le délai médian est de 11 mois, ce qui place le Canada au 8e rang d’une étude s’intéressant à 69 pays entre janvier 2011 et août 2018. Pour les médicaments du système nerveux central, c’est 16 mois, et 26 pour le diabète(10).

Malgré la place enviable du Canada, et en dépit de politiques publiques qui tiennent compte du rôle des prix comme signal aux fabricants, le pays n’est pas exempt de délais. Ceci est dû, d’une part, au fait que les nouveaux médicaments sont déjà soumis à l’approbation de Santé Canada six mois après avoir été soumis une première fois aux États-Unis ou en Europe, en raison de la petite taille du marché canadien(11). D’autre part, il existe au Canada un long processus réglementaire avant que les médicaments puissent être remboursés(12).

Un abaissement forcé des prix pourrait entraîner des délais additionnels, puisque le Canada deviendrait moins attrayant pour les fabricants. De plus, en rendant la comparaison internationale continuelle(13), la réforme qu’espère adopter Santé Canada ouvrirait la porte à des effets « boule de neige », par lesquels l’adoption d’un prix faible dans l’un des pays qui nous sert de référence pourrait entraîner une baisse de prix ici, ce qui ferait baisser les prix dans un autre pays où le Canada sert de référence, et ainsi de suite. Une chute soudaine des prix compromettrait l’accès aux médicaments(14). Cela a été le cas en Bulgarie, où le mécanisme de prix de référence a provoqué le retrait du marché de 200 produits en 2012(15).

D’abord, ne pas nuire

L’un des enseignements les plus élémentaires de la science économique est que le plafonnement des prix provoque des pénuries. L’utilisation d’un processus complexe de prix de référence ne change rien à cette vérité toute simple. Le CEPMB ne devrait pas pouvoir retarder l’accès des Canadiens aux innovations pharmaceutiques, encore moins les en priver.

Les nouveaux médicaments contribuent de façon importante à l’allongement de longévité et à notre qualité de vie(16). Le marché des médicaments n’est déjà pas complètement libre, il est réglementé très étroitement; il subsistait toutefois jusqu’ici des signaux de prix récompensant l’innovation. Rompre ce lien fragile pourrait entraîner des conséquences néfastes pour l’accès des malades aux innovations.

Références

1. Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, Modernisation des lignes directrices : Études de cas.
2. Giuseppe Carone, Christoph Schwierz et Ana Xavier, Cost-containment policies in public pharmaceutical spending in the EU, European Commission, Economic Papers 461, September 2012; Elizabeth Docteur et Valérie Paris, « Ensuring Efficiency in Pharmaceutical Expenditures », dans OCDE, Achieving Better Value for Money in Health Care, 2009, p. 101-128; Jaime Espin, Joan Rovira et Antonio Olry de Labry, WHO/HAI Project on Medicine Prices and Availability, Organisation Mondiale de la Santé, Review Series on Pharmaceutical Pricing Policies and Interventions, Working Paper 1: External Reference Pricing, mai 2011; Ruth Lopert et al., Final report with recommendations for reforming Bulgaria’s pharmaceutical sector, Banque Mondiale, 1er mai 2015.
3. Cécile Rémuzat et al., « Overview of external reference pricing systems in Europe », Journal of Market Access & Health Policy, vol. 3, no 1, 2015, p. 27675.
4. Santé Canada, Protéger les Canadiens des prix excessifs des médicaments : Consultation sur les modifications proposées au Règlement sur les médicaments brevetés, 16 mai 2018, p. 13.
5. Ibid., p. 12.
6. Patricia M. Danzon et Andrew J. Epstein, « Effects of Regulation on Drug Launch and Pricing in Interdependent Markets », dans Kristian Bolin et Robert Kaestner (éd.), Advances in Health Economics and Health Services Research: The Economics of Medical Technology, vol. 23, 2012 p. 56.
7. EY, An assessment of Canada’s current and potential future attractiveness as a launch destination for innovative medicines, Innovative Medicines Canada, janvier 2019, p. 18.
8. Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, op. cit., note 1.
9. Patricia M. Danzona, Richard Wang et Liang Wang, « The impact of price regulation on the launch delay of new drugs: Evidence from twenty-five major markets in the 1990s », Health Economics, vol. 14, 2005, p. 269-292; Margaret K. Kyle, « Pharmaceutical Price Controls and Entry Strategies », The Review of Economics and Statistics, vol. 89, no 1, février 2007, p. 88-99; Patricia M. Danzon et Andrew J. Epstein, op. cit., note 6.
10. EY, op. cit., note 7, p. 31.
11. Il s’agit du délai médian. L’étude s’intéresse à la période comprise entre 2000 et 2011. Le délai moyen est de 18 mois. Ali Shajarizadeh et Aidan Hollis, « Delays in the Submission of New Drugs in Canada », Canadian Medical Association Journal, vol. 187, no 1, 6 janvier 2015, p. E47-E51.
12. Mathieu Bédard, « La course à obstacles des nouveaux médicaments », Le Point, IEDM, 5 avril 2018.
13. Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, Document d’orientation sur la modification des Lignes directrices, Présentation au comité directeur – Le 25 juin 2018, Part V : Révision du prix de reference.
14. Cécile Rémuzat, op. cit., note 3, p. 7; Giuseppe Carone, Christoph Schwierz et Ana Xavier, op. cit., note 2, p. 16.
15. Cécile Rémuzat, op. cit., note 3, p. 9.
16. Frank Lichtenberg, The Benefits of Pharmaceutical Innovation: Health, Longevity, and Savings, Cahier de recherche, IEDM, 15 juin 2016.

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