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Comment l’innovation profite à la forêt

L’accumulation des connaissances et l’évolution technologique ont considérablement fait évoluer les pratiques forestières de sorte qu’aujourd’hui, il s’agit d’une activité durable qui soutient l’économie de plusieurs régions du Canada. En dépit de cette réalité, plusieurs mythes circulent et laissent croire qu’on doit réduire la récolte de bois pour assurer la survie des forêts. Au contraire, le potentiel des forêts canadiennes est en fait sous-exploité, ce qui représente des opportunités pour les centaines de villes et régions qui en dépendent à travers le pays.

Communiqué de presse : Nos forêts sont en bonne santé : elles ne sont pas surexploitées
 

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Combattre des mythes sur la récolte forestière (Le Quotidien, 18 septembre 2018)    

 

Cette Note économique a été préparée par Alexandre Moreau, analyste en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Environnement de l’IEDM vise à explorer les aspects économiques des politiques de protection de la nature dans le but d’encourager des réponses à nos défis environnementaux qui présentent le meilleur rapport coût-efficacité.

L’accumulation des connaissances et l’évolution technologique ont considérablement fait évoluer les pratiques forestières de sorte qu’aujourd’hui, il s’agit d’une activité durable qui soutient l’économie de plusieurs régions du Canada.

En dépit de cette réalité, plusieurs mythes circulent et laissent croire qu’on doit réduire la récolte de bois pour assurer la survie des forêts(1). Au contraire, le potentiel des forêts canadiennes est en fait sous-exploité, ce qui représente des opportunités pour les centaines de villes et régions qui en vivent à travers le pays.

Pas moins du tiers de la population canadienne vit dans des régions forestières ou à proximité de celles-ci(2). À l’échelle du Québec seulement, le secteur forestier représente 2 % du PIB (6,5 milliards $) et 1,6 % de l’emploi, soit près de 59 000 travailleurs(3). Pour certaines régions du nord du Québec, où la majorité de la récolte a lieu, son empreinte économique est beaucoup plus élevée. Par exemple, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, la forêt fournit 10 % des emplois, et plus de 40 % dans le Nord-du-Québec(4). En fait, l’activité forestière est une part importante de l’économie pour environ 200 municipalités au Québec(5).

La forêt canadienne est en santé

En dépit des activités qui y ont cours, le couvert forestier canadien est demeuré relativement stable depuis 1990. Cette tendance devrait se poursuivre au cours des 10 à 20 prochaines années(6). Contrairement à ce que certains croient, la récolte forestière n’est pas synonyme de déforestation.

Selon la définition retenue par le gouvernement du Canada, le concept de déforestation (ou de déboisement) fait référence au changement permanent de la vocation du territoire en raison de l’activité humaine(7). D’autres utilisent une définition plus large pour inclure les superficies fortement perturbées par l’activité humaine et les phénomènes naturels, au point où la régénération devient peu probable à long terme(8).

La récolte de bois en forêts aménagées, elle, n’est pas considérée comme de la déforestation, puisque les arbres repoussent naturellement avec l’aide des travaux sylvicoles et pourront être récoltés de nouveau. Dans ce cas, ce sont essentiellement les chemins forestiers permanents qui peuvent affecter la vocation des forêts et causer une diminution du couvert forestier. D’ailleurs, la superficie ainsi déboisée annuellement a diminué de plus de moitié depuis 1990 et ne représente qu’une part infime du territoire forestier canadien(9).

Historiquement, le niveau de récolte a toujours été considérablement inférieur à ce que les forêts pouvaient produire. En effet, la récolte de bois exprimée en pourcentage de la possibilité forestière, soit le volume maximum des récoltes que l’on peut prélever sans diminuer la capacité de la forêt à se renouveler, est relativement faible tant au Québec qu’à travers le Canada. En moyenne, lors de la période 1990-2015, cela ne représentait respectivement que 66 % et 73 % de la possibilité forestière (voir la Figure 1)(10). Autrement dit, la quantité de bois récoltée chaque année est inférieure à l’intérêt versé par le capital forestier. ​

Figure 1

Même en termes absolus, les volumes de bois annuellement récoltés sont aujourd’hui considérablement inférieurs aux niveaux observés en début des années 1990, et encore plus depuis les sommets atteints au début des années 2000. En effet, la récolte de bois résineux, qui représente plus des trois quarts de la récolte totale, a diminué de 9 % au Canada et de près de 20 % au Québec(11). Ces variations s’expliquent en grande partie par l’évolution de la demande pour les produits forestiers(12), mais aussi par l’innovation dans le secteur.

La recherche du profit protège nos forêts

Dans une logique de profit, les entreprises investissent des sommes importantes pour réduire le gaspillage et tirer le maximum de chaque arbre récolté, indépendamment de ses défauts. Dans le sous-secteur du sciage, l’utilisation des nouvelles technologies permet de produire davantage tout en utilisant de moins en moins d’arbres(13).

Entre 1990 et 2017, le volume de bois rond résineux nécessaire pour produire mille pieds mesure de planche (Mpmp) a ainsi diminué de presque un quart(14). À titre de comparaison, les usines de sciage auraient consommé plus de 30 millions m3 de bois rond en 2017 si elles avaient affiché le même rendement qu’en 1990, soit environ 7 millions m3 de plus. Un tel niveau de consommation aurait été plus élevé que ce que les forêts du Québec peuvent actuellement soutenir et aurait pu les mettre en danger à long terme(15).

L’augmentation du rendement des usines de sciage est capitale puisque celles-ci consomment plus de 80 % du bois récolté, dont la quasi-totalité est issue des essences de sapins, d’épinettes, de pin gris et de mélèzes (SEPM)(16). Le reste des arbres sert principalement à alimenter les usines de pâtes et papier et celles qui produisent des matériaux composites (voir la Figure 2).

Figure 2

Dans l’ensemble de l’industrie forestière, les usines de sciage sont les seules à s’approvisionner exclusivement d’arbres. Les résidus issus du sciage, eux, sont récupérés par les usines de transformation des autres secteurs; en fait, les copeaux, écorces, sciures, rabotures et autres produits recyclés représentent près de 80 % de l’approvisionnement de ces usines (voir la Figure 3).

Figure 3

Dans le cas spécifique des usines de pâtes et papiers, ce taux est de 81 %. Il s’agit d’une amélioration impressionnante puisque ce pourcentage était d’environ 60 % au tournant des années 1990 et de seulement 20 % dans les années 1970(17). À l’instar des usines de sciage, ces gains d’efficience ont permis de produire plus tout en coupant moins d’arbres.

La valorisation des sous-produits du sciage a ainsi fait croître la productivité du secteur forestier puisque la richesse tirée de chaque arbre récolté ne cesse d’augmenter(18). Il en est de même lorsqu’on la mesure en fonction du nombre d’heures travaillées. Au Québec, le PIB par heure travaillée a essentiellement doublé depuis 20 ans pour les différents secteurs liés à la forêt. À titre de comparaison, cette augmentation n’a été que de 23 % pour l’ensemble des entreprises productrices de biens (voir la Figure 4). À l’échelle du Canada, aussi, la croissance de la productivité des secteurs forestiers a été considérablement supérieure à celle de l’ensemble des entreprises productrices de biens(19).

Figure 4

L’impact des politiques d’aménagement

Les politiques d’aménagement forestier affectent la prévisibilité et la stabilité des approvisionnements et, ultimement, la capacité des usines à investir pour mieux répondre aux besoins des consommateurs. À l’échelle du Canada, la grande majorité de la récolte et de la possibilité forestière est située en forêts publiques, celles-ci représentant plus de 90 % de l’ensemble des forêts(20). Les politiques d’aménagement ont donc un impact important sur l’activité économique du secteur forestier. D’ailleurs, les volumes de bois attribués pour la récolte ont diminué de près du quart depuis le début des années 2000 au Québec en raison notamment de l’implantation d’aires protégées(21). À long terme, cela peut occasionner une rareté artificielle et faire augmenter les coûts d’approvisionnement des usines de transformation. De plus, le manque d’accès aux forêts publiques peut limiter la capacité des usines à répondre à la demande mondiale croissante pour certains produits(22).

Afin de remédier à cette situation, le Bureau du forestier en chef du Québec a recommandé au ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs de revoir sa stratégie pour hausser la possibilité forestière de 25 % d’ici 2038 et de 50 % pour 2063. Notamment, il est question d’intensifier l’aménagement forestier à l’aide de travaux sylvicoles visant à augmenter la capacité de régénération et, au bout du compte, le rendement des forêts publiques. Cela assurerait un niveau d’approvisionnement prévisible et stable, propice à la planification des investissements et de la production des usines de transformation(23). Encore une fois, l’application des nouvelles connaissances en termes d’aménagement forestier permettrait d’augmenter les volumes de bois disponibles pour la récolte, toujours en préservant la ressource.

Conclusion

Grâce à l’innovation, l’activité forestière ne menace pas la pérennité de nos forêts. Le meilleur rendement des usines et la valorisation croissante des sous-produits issus de la transformation ont permis de faire croître l’activité économique, et ce en dépit de la réduction par le gouvernement des volumes de bois disponibles pour la récolte. Cette dernière tendance devrait se poursuivre étant donné la volonté d’augmenter les aires protégées et de préserver des espèces en péril.

Personne ne conteste la nécessité de mettre en place des mesures de conservation; fort heureusement, la technologie et les méthodes d’aujourd’hui permettent une exploitation forestière respectueuse de l’environnement, qui permet de conjuguer les attentes sociales quant au respect de la biodiversité avec les besoins économiques des travailleurs et des communautés qui vivent de la forêt. L’histoire récente nous enseigne que la recherche du profit y contribuera grandement.

Références

1. Nicolas Mainville, « Vous ne croirez pas ces six statistiques sur la forêt québécoise », Greenpeace, 17 mars 2016.
2. Ressources naturelles Canada, L’État des forêts au Canada : Rapport annuel 2017, 2017, p. 47.
3. Il s’agit du nombre d’emplois et du PIB direct, exprimés en dollars enchaînés de 2007, pour l’année 2017. Ceci correspond au secteur primaire (SCIAN 113 et 1153) et au secteur manufacturier direct (SCIAN 321 et 322). Statistique Canada, Tableau 14-10-0201-01 : Emploi selon l’industrie, données mensuelles non désaisonnalisées, 2017; Statistique Canada, Tableau 36-10-0402-01 : Produit intérieur brut (PIB) aux prix de base, par industries, provinces et territoires, 2017.
4. Les données sur l’emploi par région datent de 2013, mais rien ne laisse croire que les proportions on significativement évolué. Considérant l’augmentation de la récolte forestière depuis, ces proportions sont prudentes. Alexandre Moreau, Les régimes forestiers du Québec : des leçons à tirer pour renouer avec la prospérité, Cahier de recherche, IEDM, octobre 2016, p. 37.
5. Bureau du forestier en chef, État de la forêt publique du Québec et de son aménagement durable : Bilan 2008-2013, 2015, p. 18.
6. Le couvert forestier a diminué de seulement 0,34 % et atteignait 347,1 millions d’hectares en 2015. Ressources naturelles Canada, op. cit., note 2, p. 27.
7. Cette définition de Ressources naturelles Canada est basée sur la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Andrew Dyk et al., Canada’s National Deforestation Monitoring System: System Description, Ressources naturelles Canada, 2015, p. 2.
8. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, Déforestation.
9. Le déboisement causé par les chemins forestiers représentait seulement 1400 hectares en 2015. Ressources naturelles Canada, op. cit., note 2, p. 28.
10. Le taux de récolte pour les essences résineuses a été élevé pour le Québec au tournant des années 2000 sans toutefois menacer la pérennité de la ressource. Alexandre Moreau, op. cit., note 4, p. 17-25.
11. Il s’agit d’une variation entre les périodes 1990-1994 et 2011-2015 pour pallier les volatilités annuelles. Base de données nationale sur les forêts, 2.1.1.1 : Récolte potentielle—Québec, 5.1.2.0 : Volume de bois rond récolté par tenure, par catégorie et par groupe d’espèces—Québec, Récolte annuelle par rapport à l’approvisionnement en bois—Canada, 1990-2015.
12. Alexandre Moreau, op. cit., note 4, p. 33-34; Ressources naturelles Canada, op. cit., note 2, p. 31.
13. Le rendement est de 25 à 35 % plus élevé dans les usines employant de nouvelles technologies. Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs du Québec, « La technologie du sciage et le rendement en bois d’œuvre résineux », mars 2004, p. 3-4.
4. De 5,02 à 3,84 m3. Il est question des essences SEPM (sapin, épinettes, pin gris et mélèzes) uniquement. Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, « Compilation des données issues des registres forestiers 2017 », Présentation faite à la Table de concertation sur le marché de la matière ligneuse, juin 2018, p. 18. Le rendement pour l’année 1990 provient de l’édition 2004 du Portrait statistique. Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs, « Ressources et industries forestières : portrait statistique—Édition 2004 », juin 2004, Tableau 00.05.03.
15. La consommation en essences SEPM des usines de sciage était de 23,2 millions m3 en 2017; elle aurait été de 30,3 millions m3 avec le rendement des usines en 1990. La possibilité nette en forêts publiques était d’environ 27 millions m3 en date du 31 décembre 2017, soit 20,3 millions m3 en forêts publiques plus environ 7 millions en forêts privées. Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, « Compilation des données issues des registres forestiers 2017 », Présentation faite à la Table de concertation sur le marché de la matière ligneuse, juin 2018, p. 4; Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs, Répertoire des bénéficiaires de droits forestiers sur les terres du domaine de l’État—Version du 31 décembre 2017, 2017.
16. Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, « Compilation des données issues des registres forestiers 2017 », Présentation faite à la Table de concertation sur le marché de la matière ligneuse, juillet 2017, p. 4 et 11.
17. Ibid., p. 1-2; Ministère des Ressources naturelles, Ressource et industrie forestières : portrait statistique—Édition 1994, 1994, p. 102; Pierre Desrochers et Jasmin Guénette, Concilier profits et environnement : le recyclage des déchets industriels dans une économie de marché, Cahier de recherche, IEDM, 22 avril 2005, p. 24-25.
18. Bureau du forestier en chef, op. cit., note 5, p. 214.
19. Statistique Canada, Tableau 36-10-0480-01 : Productivité du travail et mesures connexes par industrie du secteur des entreprises et par activité non-commerciale, conformes aux comptes des industries, provinces et territoires, 1997-2017.
20. Alexandre Moreau, op. cit., note 4, p. 29-32.
21. Bureau du forestier en chef, Prévisibilité, stabilité et augmentation des possibilités, Avis du Forestier en chef déposé à monsieur Luc Blanchette, ministre des Forêts, de la Faune et des Parcs, décembre 2017, p. 12.
22. Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, State of the World’s Forests 2009. Part 2 : Adapting for the Future, 2009, p. 64-69.
23. Bureau du forestier en chef, op. cit., note 21, p. 14-23.

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