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Textes d'opinion

Il revient aux citoyens de déclarer leurs impôts

« L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris ». Cette phrase qu’aurait prononcée Jean-Baptiste Colbert, contrôleur général des finances de Louis XIV résume bien qu’il est dans l’intérêt du gouvernement de faire en sorte qu’il ne soit pas trop douloureux de prélever les impôts, mais aussi qu’il n’est pas nécessairement dans l’intérêt des contribuables de s’en remettre presque entièrement à lui pour remplir leur déclaration de revenus.

Or, dans le but de simplifier les procédures, le Parti québécois et le ministre des Finances Carlos Leitao ont tous deux évoqué l’idée que l’État préremplisse les déclarations pour la plupart des contribuables, un système en vigueur dans plusieurs pays développés. L’expérience internationale montre que le préremplissage ne fait pas nécessairement diminuer le coût pour les contribuables, les fait augmenter pour les entreprises et le gouvernement, et que cela cause en outre plusieurs effets pervers économiques et sociétaux.

Coûts administratifs et risques d’erreur

Pour mettre en place un tel système, le fisc devrait exiger des employeurs, des banques et des organismes de bienfaisance qui reçoivent des dons qu’ils lui fournissent les renseignements. Les coûts administratifs augmenteraient donc pour ces entreprises et organismes, qui se transformeraient en sous-traitants de l’État en matière fiscale. Si l’on se fie à l’expérience britannique, les coûts seraient plus importants pour les petites entreprises.

On pourrait penser d’autre part que les coûts pour l’État diminueraient en raison de la simplification, ce qui permettraient, en théorie, de limiter le nombre d’erreurs, de réduire le temps passé par l’administration fiscale pour régler les litiges et de vérifier la véracité de la situation de chacun des contribuables. C’est plus qu’incertain. Le gouvernement a besoin de ressources additionnelles pour recueillir les données auprès des tierces parties, calculer les revenus des contribuables, les transmettre et ensuite stocker les données. 

Les risques d’erreurs de calcul du montant des impôts sont également plus importants avec un tel système. Des cas de bogues informatiques dans des pays à la fiscalité complexe, comme l’Australie ou la France, ont été signalés. 

L’expérience récente du Canada dans un dossier similaire n’est pas rassurante. La mise en place du système de paie Phénix pour les employés du gouvernement fédéral a donné lieu à une comédie d’erreurs. Il est donc légitime d’avoir des doutes sur la capacité du gouvernement de gérer un système de perception des impôts infiniment plus complexe à l’échelle du pays. 

Une déresponsabilisation du citoyen

Le consentement à l’impôt fait partie de la tradition démocratique des pays occidentaux depuis des siècles. Pour qu’il y ait consentement éclairé, le contribuable doit prendre connaissance des informations qui le concernent. Avec une déclaration préremplie, les contribuables risquent de ne plus être en mesure d’évaluer correctement leur contribution et par conséquent de moins porter attention à l’évolution des politiques fiscales qui les concernent.  

Un tel régime renforce aussi l’illusion fiscale, c’est-à-dire la tendance des contribuables à sous-estimer les impôts qu’ils paient par rapport aux services que leur offre le gouvernement. Déjà, cette évaluation n’est pas facile à faire; si en plus on ne fait plus l’effort de se pencher sur la question une fois par année en faisant sa déclaration de revenus, on en sera encore moins conscient. 

La démocratie nécessite de la transparence dans la taxation. La présence de citoyens bien informés est l’un des moyens les plus sûrs de s’assurer qu’ils participent plus activement au débat public et comprennent mieux les enjeux fiscaux et économiques. Dans le système qui prévaut au Canada, le remplissage de la déclaration fait en sorte que les citoyens ont au moins une occasion chaque année de s’asseoir pour réfléchir aux finances publiques et à la contribution qu’ils doivent fournir. 

L’objectif de réduire les coûts de conformité fiscale est louable. Il existe toutefois une façon moins coûteuse, moins risquée et plus équitable de l’atteindre : simplifier l’ensemble du système fiscal.

Kevin Brookes est analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal, Pascale Déry est vice-présidente, Communications et développement à l’IEDM. Ils sont les auteurs de « L’État doit-il remplir votre déclaration de revenus? » et signent ce texte à titre personnel.

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