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La liberté économique favorise la liberté de presse

Les vertus de la liberté de la presse sont aujourd’hui largement reconnues. Une autre liberté essentielle, la liberté économique, souffre quant à elle d’un manque d’appréciation. Pourtant, elle contribue de manière substantielle à améliorer le bien-être humain, en plus d’être une condition nécessaire pour assurer un certain degré de liberté de la presse.

Communiqué de presse : Pas de liberté de presse sans liberté économique!

Annexe technique
 

En lien avec cette publication

Freer Markets, Freer Media (The Wall Street Journal, 2 mai 2018)

Liberté économique et liberté de presse vont de pair (Le Devoir, 3 mai 2018)

« La liberté de la presse est indissociable de la liberté économique » (Le Point, 3 mai 2018)

   

 

Cette Note économique a été préparée par Kevin Brookes et Patrick Déry, analystes en politiques publiques à l’IEDM. La Collection Réglementation de l’IEDM vise à examiner les conséquences souvent imprévues pour les individus et les entreprises de divers lois et règlements qui s’écartent de leurs objectifs déclarés.

Les vertus de la liberté de la presse sont aujourd’hui largement reconnues. Elle améliore la qualité de la démocratie en rehaussant les attentes des citoyens, en formant un « quatrième pouvoir » face aux trois pouvoirs incarnés par l’État(1) et en réduisant la corruption(2). Elle contribue aussi au développement économique, car elle facilite la circulation de l’information, indispensable aux acteurs économiques.

Une autre liberté essentielle, la liberté économique, souffre quant à elle d’un manque d’appréciation. Pourtant, elle contribue de manière substantielle à améliorer le bien-être humain(3), en plus d’être une condition nécessaire pour assurer un certain degré de liberté de la presse.

Deux libertés qui vont de pair

La liberté économique signifie la possibilité de choisir parmi des biens et des services et d’échanger volontairement avec d’autres sur un marché concurrentiel. Les gouvernements soutiennent la liberté économique quand ils établissent un cadre légal assurant le respect du droit de propriété et l’application des contrats. Ils empiètent sur elle quand ils remplacent la coordination des activités économiques par le marché par de la réglementation et des restrictions au commerce et à l’entrepreneuriat(4).

La liberté de la presse est une composante essentielle d’une démocratie où les droits et libertés individuelles des citoyens sont respectés. Elle constitue un contre-pouvoir parmi d’autres à ceux de l’État et aide la société civile à s’organiser pour faire entendre sa voix. Elle implique que les journalistes puissent pratiquer leur métier sans entraves.

La liberté de la presse est relativement récente dans l’histoire de l’humanité et sa naissance est étroitement associée au développement de l’économie de marché. La première gazette publiée régulièrement a été imprimée en 1605 par l’entrepreneur et imprimeur strasbourgeois Johann Carolus pour reproduire les nouvelles qui circulaient par l’intermédiaire des entreprises de poste allemandes. Carolus répondait à une demande croissante d’information en offrant un service à bas coût rendu possible par l’invention de l’imprimerie.

Ce service a pu être fourni indépendamment des injonctions du pouvoir monarchique grâce à la prise de risque d’entrepreneurs – souvent des libraires – qui ont contribué à diffuser en Europe un esprit critique, ce qui a favorisé l’émancipation politique(5).

Un marché des idées

Le lauréat du prix Nobel d’économie Ronald Coase a expliqué que les idées sont des biens comme les autres et qu’il existe un marché des idées avec des producteurs et des consommateurs. Comme dans n’importe quel marché, certains producteurs sont honnêtes et d’autres malhonnêtes, mais les régulateurs sont des êtres humains comme les autres, sujets à l’influence des groupes d’intérêt, et qui ont aussi leurs propres motivations personnelles. Il est donc dangereux de vouloir réglementer ce marché puisque les régulateurs ne sont pas nécessairement mieux placés pour déterminer quelles sont les meilleures idées(6).

Le lien entre la liberté économique et la liberté de la presse a été établi de manière plus formelle par d’autres lauréats du prix Nobel d’économie, Milton Friedman et Friedrich Hayek(7). Ils ont montré que la diminution de la liberté économique entraînait nécessairement une diminution des droits civils et politiques, dont le droit des citoyens d’exprimer leurs idées. En effet, comme l’écrivait Friedrich Hayek, « celui qui contrôle l’activité économique contrôle en même temps tous les moyens de réalisation destinés à toutes les fins imaginables »(8). Inversement, un certain niveau de liberté économique est nécessaire pour assurer la pérennité d’un régime démocratique stable : l’économie de marché permet à chacun de disposer de revenus qui lui permettent de faire des choix indépendamment du pouvoir politique.

Depuis que les mesures de la liberté économique et politique existent, on n’a jamais observé de cas de sociétés démocratiques et respectant les droits individuels sans un minimum de liberté économique(9). Le libre marché, en garantissant la séparation entre les pouvoirs économique et politique, assure notamment la liberté d’expression : il permet la concurrence entre des acheteurs et des vendeurs d’informations et d’idées, ce qui garantit le pluralisme(10).

Dans une véritable économie de marché, un ardent défenseur du socialisme aura toujours la possibilité de trouver des donateurs, des investisseurs, ainsi que des clients pour financer la diffusion de ses opinions. En revanche, dans une économie contrôlée par le gouvernement, un dissident politique aura plus de difficulté à exprimer son opinion en raison des autorisations bureaucratiques requises, de la difficulté à trouver un financement indépendant ou simplement en raison de la censure imposée par l’État.

Le degré de contrôle de l’État sur l’économie a nécessairement un impact sur ceux qui produisent l’information. Un bon moyen de faire taire un journal, une station de télévision ou un site web est de le taxer ou de le réglementer étroitement. Plus un pays est libre sur le plan économique et facilite l’entrée des nouveaux acteurs sur un marché (ce qui signifie moins de professions réglementées et de barrières de toute sorte), plus il y a des chances que la presse soit libre : ce qui vaut pour les entreprises en général vaut aussi pour les entreprises de presse. La validité de ces principes a été confirmée dans la réalité.

Un lien significatif et fort

Deux études portant sur la situation contemporaine ont montré que le niveau de liberté de la presse est lié à celui de liberté économique(11). Selon la première, 71 % des pays les plus libres sur le plan économique offrent aussi un haut degré de liberté de presse : c’est notamment l’ouverture aux marchés étrangers et le respect du droit de propriété qui améliorent la situation de la liberté de la presse. La seconde étude révèle qu’un plus grand contrôle économique de l’État sur les médias est associé à une moins grande liberté pour les journalistes.

On peut aussi analyser le lien entre le degré de liberté de la presse et celui de la liberté économique en utilisant deux indices qui les mesurent depuis plus d’une vingtaine d’années. Le premier, tiré du rapport Economic Freedom of the World, de l’Institut Fraser, tient compte de la taille de l’État, du système juridique et du respect des droits de propriété, de la qualité de la monnaie, de la liberté du commerce international et de la réglementation(12). Le second, Freedom of the Press, publié par Freedom House, tient compte des contextes politique, économique et juridique qui influencent le travail des journalistes(13).

Le croisement de ces deux indices pour l’année 2015 confirme le résultat des études mentionnées plus haut. De manière générale, plus la liberté économique d’un pays est grande, plus la liberté de la presse est importante (voir la Figure 1). Le lien est statistiquement significatif et fort puisqu’une augmentation d’un point (sur dix) de l’indice de liberté économique entraîne en moyenne une augmentation de quatorze points (sur 100) de l’indice de liberté de la presse(14).

Figure 1

C’est le cas par exemple des pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord, mais aussi de certains pays d’Amérique Latine, comme le Chili ou l’Uruguay. À l’inverse, des pays dont le degré de liberté économique est faible, comme le Venezuela, la Bolivie, l’Argentine ou l’Algérie, présentent aussi un faible niveau de liberté de la presse.

Il est certain qu’un plus haut degré de liberté économique ne garantit pas à lui seul plus de liberté pour la presse(15). Par exemple, Singapour ou Hong Kong (en jaune sur la Figure 1) disposent d’un niveau élevé de liberté économique, mais d’une faible liberté de la presse. Cependant, la proposition selon laquelle un niveau minimum de liberté économique est une condition nécessaire pour assurer un minimum de liberté de la presse est clairement appuyée par les données : aucun des pays dont la presse est libre n’est dans le dernier quartile pour ce qui est de la liberté économique. Il s’agit en plus d’un lien de causalité : le degré de liberté économique d’une année donnée explique en grande partie le degré de liberté de la presse l’année suivante, et non le contraire(16).

Si l’on regarde parmi les cinq sous-indicateurs de la liberté économique, la protection des droits de propriété et la liberté de commercer internationalement(17) sont les deux qui contribuent le plus à la liberté de la presse(18), tel que noté aussi dans une des études citées plus haut. La liberté économique a aussi plus d’effets dans les pays les moins libres sur le plan économique que dans les pays les plus libres(19).

Le lien entre liberté économique et liberté de la presse est également plus fort dans les pays à bas revenus ou à revenus moyens-bas que dans les pays à hauts revenus(20). Autrement dit, la liberté économique est encore plus favorable à la liberté de la presse dans les pays plus pauvres.

Deux libertés qui évoluent ensemble

Le lien entre la liberté économique et la liberté de presse à un moment précis dans le temps est établi. Qu’en est-il quand on regarde l’évolution des deux indices sur une période donnée? Sur les 111 pays examinés, seulement 25 ont connu une augmentation de la liberté de la presse entre 2001 et 2015. Mais parmi ces derniers pays, une très large majorité (19) ont vu aussi leur liberté économique augmenter.

De plus, huit des dix pays ayant connu la plus forte baisse de liberté économique ont connu une diminution de la liberté de la presse (voir la Figure 2). La relation est moins forte dans le sens inverse : seulement la moitié des pays qui ont connu la plus forte hausse de liberté économique ont aussi vu leur liberté de la presse augmenter.

Figure 2

On constate d’ailleurs que les gouvernements de certains pays d’Amérique du Sud, en contrôlant et réglementant davantage leur économie pendant la même période, ont contribué à réduire fortement la liberté de la presse(21).

Les conclusions sur la nature du lien entre liberté économique et liberté de la presse sont les mêmes si l’on croise l’indice de Economic Freedom of the World avec un autre indicateur de la liberté de la presse, soit celui de Reporters sans frontières, pour chacune des années entre 2004 et 201522. Autrement dit, les endroits présentant un haut degré de liberté économique sont ceux où il y a moins de journalistes attaqués, le moins de lois et réglementations imposées aux médias et le moins de pressions politiques pour contrôler leur contenu.

Conclusion

Il reste beaucoup de progrès à faire pour améliorer la liberté d’expression et l’indépendance des journalistes à travers le monde, comme le soulignent régulièrement les rapports de Freedom House et ceux de Reporters sans frontières. Ces progrès peuvent être réalisés grâce à la libéralisation de l’économie. D’ailleurs, plusieurs pays où des progrès importants pourraient être accomplis souffrent d’un manque de liberté économique.

Même si d’autres facteurs, comme le régime politique, influencent l’indépendance des journalistes, et même si la liberté économique est insuffisante pour garantir à elle seule la liberté de la presse, elle n’en demeure pas moins une condition nécessaire. La liberté économique constitue donc une piste intéressante de réformes, car elle favorise la prospérité en même temps que l’amélioration de caractéristiques non économiques, au premier chef la liberté de presse.

Références

1. Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
2. Timothy Besley et Robin Burgess, « The Political Economy of Government Responsiveness: Theory and Evidence from India », The Quarterly Journal of Economics, vol. 117, no 4, novembre 2002, p. 1415-1451; Aymo Brunetti et Beatrice Weder, «  A Free Press Is Bad News for Corruption », Journal of Public Economics, vol. 87, no 7-8, 2003, p. 1801-1824.
3. Marie-Josée Loiselle et Pascale Déry, « La liberté économique et le bien-être des femmes dans le monde », Point, IEDM, mars 2016 ; Yanick Labrie et Bradley Doucet, « La liberté économique améliore le bien-être humain », Note économique, IEDM, février 2015 ; Ariel R. Belasen et Roger W. Hafer, « Do Changes in Economic Freedom Affect Well-Being? », Journal of Regional Analysis & Policy, vol. 43, no 1, 2013, p. 56-63; Niclas Berggren, « The Benefits of Economic Freedom: A Survey », Independent Review, vol. 8, no 2, automne 2003, p. 193-211.
4. James Gwartney et Robert Lawson, « The Concept and Measurement of Economic Freedom », European Journal of Political Economy, vol. 19, no 3, septembre 2003, p. 406-407.
5. Johannes Weber, « Strassburg, 1605: The Origins of the Newspaper in Europe », German History, vol. 24, no 3, juillet 2006, p. 387-412 ; Eric W. Allen, « International Origins of the Newspapers: The Establishment of Periodicity in Print », Journalism Bulletin, vol. 7, no 4, décembre 1930, p. 307-319.
6. Ronald H. Coase, « The Market for Goods and the Market for Ideas », The American Economic Review, vol. 64, no 2, mai 1974, p. 384-391.
7. Friedrich Hayek, La route de la servitude, chapitre 7 – Contrôle économique et totalitarisme, p. 95-108, Presses Universitaires de France, 2013 (1944) ; Milton Friedman, Capitalisme et liberté, chapitre 1 – Liberté économique et liberté politique, p. 47-66, Leduc.s éditions, 2010 (1962).
8. Friedrich Hayek, ibid., p. 99.
9. Robert A. Lawson et J. R. Clark, « Examining the Hayek–Friedman Hypothesis on Economic and Political Freedom », Journal of Economic Behavior & Organization, vol. 74, no 3, juin 2010, p. 230-239.
10. Milton Friedman, op. cit., note 7.
11. Christian Bjørnskov, « The Hayek–Friedman hypothesis on the Press », Journal of Institutional Economics, à paraître; Simeon Djankov et al., « Who Owns the Media? », The Journal of Law and Economics, vol. 46, no 2, octobre 2003, p. 341-382.
12. James Gwartney, Robert Lawson et Joshua Hall, Economic Freedom of the World : 2017 Annual Report, Institut Fraser, septembre 2017.
13. Freedom House, Freedom of the Press 2017: Press Freedom’s Dark Horizon, avril 2017.
14. Voir la Figure A-1 dans l’Annexe technique sur le site de l’IEDM pour la mise en évidence du même lien avec l’ensemble des données sur la période 2001-2015.
15. La liberté économique explique 35 % de la variation de l’indice de liberté de la presse sur l’ensemble des données de la période 2001-2015. Voir la Figure A-1 de l’Annexe technique.
16. Voir les explications méthodologiques dans l’Annexe technique.
17. Les trois autres étant la taille de l’État, une monnaie stable, la degré de réglementation.
18. Voir les Figures A-3 et A-4 de l’Annexe technique. Voir aussi Christian Bjørnskov, op. cit., note 13; Nabamita Dutta et Sanjukta Roy, « The Impact of Foreign Direct Investment on Press Freedom », Kyklos, vol. 62, no 2, avril 2009, p. 239-257.
19. Voir la Figure A-5 de l’Annexe technique.
20. Selon les catégories de la Banque mondiale. Banque mondiale, Data, How Does the World Bank Classify Countries?, Income groups. Voir les Figures A-7 à A-9 de l’Annexe technique.
21. Par exemple, le Venezuela a connu une forte baisse de sa liberté économique et de sa liberté de presse, respectivement de 50 et 64 %, selon les indices de l’Institut Fraser et du Freedom House. Hugo Chavez et Nicolas Maduro ont en effet utilisé des outils économiques pour museler la presse d’opposition : en investissant massivement dans des médias d’État pour faire entendre la voix du pouvoir, en ne renouvelant pas la licence d’une chaîne de télévision d’opposition, et en imposant des amendes pour censurer les médias privés. Voir The Economist, « A Crackdown in Venezuela: News That’s Fit to Print », 19 octobre 2013 ; Boris Munoz, « The Media and the Citizen in Venezuela », The New Yorker, 30 août 2013.
22. Voir la Figure A-2 dans l’Annexe technique. Ces données ont fait l’objet d’un traitement moins exhaustif en raison de la disponibilité des données (moins d’années couvertes) et d’un changement dans le calcul de l’indicateur en 2013.

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