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Textes d'opinion

Énergie Est et Bombardier : un cas de schizophrénie économique?

Les entraves que met en place le gouvernement du Québec au projet d’oléoduc Énergie Est contrastent avec le soutien presque inconditionnel pour Bombardier. Cela rappelle une citation attribuée à Ronald Reagan, pour qui la politique des gouvernements vis-à-vis des entreprises peut habituellement se résumer ainsi : « si elle bouge, taxez-la, si elle bouge encore, réglementez-la, et si elle ne bouge plus, subventionnez-la ».

Dans cette maxime, l’entreprise qui bouge encore, et qui se voit réglementée, est TransCanada. Elle bouge toujours puisque son projet d’oléoduc, Énergie Est, est issu d’un investissement privé. On la réglemente puisqu'on met des obstacles à la réalisation de ces investissements sous couvert de risque environnemental, en ayant vraisemblablement plutôt en tête l’illusion qu'on stoppera ainsi l'exploitation des sables bitumineux de l'Ouest canadien. Mais il s’agit d’une prémisse fausse puisque, selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale pour le pétrole augmentera de 37 % d’ici 2040 et continuera d’occuper les deux tiers du marché énergétique mondial. Les Québécois, à eux seuls, consomment environ 128 millions de barils de pétrole par année. Enfin, l’Association des producteurs de pétrole canadiens prévoit que la production canadienne va continuer d’augmenter au moins jusqu’en 2030.

Les débats sur la sécurité de l’oléoduc sont une distraction. Il s’agit du moyen le plus sûr d’acheminer du pétrole sur une longue distance même si, contrairement à ce que la catastrophe de Lac-Mégantic laisserait penser, le transport ferroviaire est lui-même un moyen de transport très sécuritaire. Dans les faits, on a 75 % plus de chances d’être frappé par la foudre que d’être tué par un accident lié à un oléoduc!

L’entreprise subventionnée, celle qui ne bouge plus, ou presque plus, est la division CSeries de Bombardier. Elle n’arrive tout simplement pas à vendre ses appareils pour plus qu’ils n’en coûtent à construire.

Bien que l’ensemble des spécialistes de l’aéronautique s’entendent pour dire que les appareils CSeries sont de beaux avions innovants et, d’un point de vue purement technique, capables de concurrencer ceux des autres constructeurs, les ventes ne se sont pas matérialisées. Les avions de Boeing et d’Airbus qui concurrencent les CSeries sont construits depuis bien longtemps et les gains de productivité réalisés leur permettent d’atteindre un prix difficile à égaler pour Bombardier. À ce désavantage vient s’ajouter le fait que les compagnies aériennes adoptant le CSeries devront former l’ensemble de leur personnel à opérer et entretenir une nouvelle marque d’avion, une opération très coûteuse.

Alors qu’on débat de l’utilité de sauver une entreprise faisant face à des difficultés réelles, peut-être insurmontables, on passe sous silence la détresse des travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière. WestJet a récemment annulé 88 vols par semaine entre la Colombie-Britannique et l’Alberta. Entre Moncton et l’Alberta, il y avait 14 vols par semaine il n’y a pas longtemps, contre aucun aujourd’hui. Plus de 100 000 travailleurs de l’industrie pétrolière et gazière ont perdu leur emploi au Canada, soit 20 % de la main-d’œuvre de ce secteur. Le taux de suicide de l’Alberta a augmenté de 30 % durant la première moitié de l’année 2015.

Difficile de ne pas contraster les 2830 emplois déjà perdus chez Bombardier au Canada avec les 14 000 emplois que TransCanada prévoit créer grâce à la construction de l’oléoduc Énergie Est. Si les emplois étaient vraiment au centre des préoccupations des différents paliers de gouvernement, ceux-ci s’activeraient à approuver ce projet le plus rapidement possible, pour autant qu’il respecte les normes généralement appliquées en pareille matière.

Enfin, dans cette histoire, l’entreprise qui bouge et est simplement taxée, c’est toutes les autres qui, elles, ne reçoivent aucune aide gouvernementale, ainsi que le contribuable ou l’épargnant que l’on transforme en actionnaire sans lui demander son avis. Autrement dit, quand on se paye le luxe de refuser un important investissement privé, tout en soutenant, avec des fonds publics, un projet aéronautique extrêmement risqué, il faut, par définition, aller chercher des revenus ailleurs. Cette schizophrénie économique a un coût, qu’on se le dise!

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Mathieu Bédard, économiste à l'IEDM. Ils signent ce texte à titre personnel.

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