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Textes d'opinion

La police de la cabane à sucre

Des producteurs de sirop d’érable « dissidents » se voient saisir leur sirop par l’organisation bureaucratique qui contrôle ce secteur d’activité. Leur crime? Ils revendiquent le droit de vendre librement le fruit de leur labeur. Des gardes de sécurité sont même présents dans certaines cabanes de producteurs qui refusent de rentrer dans le rang.

C’est dans cette joyeuse ambiance que s’amorce la saison des cabanes à sucre au Québec!

Depuis 2002, la mise en marché des produits de l'érable au Québec est contrôlée par un système de gestion de l'offre. Un producteur de sirop d'érable doit obtenir la permission de la Fédération des producteurs acéricoles pour pouvoir transformer et mettre en marché ses propres produits. Des quotas ont été mis en place dans le but de contrôler la quantité de sirop d'érable produite et ainsi augmenter le prix du produit.

Bien que les producteurs québécois profitent d’une plus grande stabilité des prix et d’une marge de profit plus élevée, ils doivent aussi assumer les effets négatifs comme les délais de paiement, les frais de mise en marché et les cotisations à payer à la fédération. Plus important encore, leur liberté entrepreneuriale, et celle de vendre à qui ils veulent, est carrément brimée!

Mais surtout, ce système pourrait menacer à terme la survie de cette industrie. Car augmenter artificiellement le prix à la ferme des produits de l'érable a des conséquences. Même si le Québec a depuis longtemps été le principal producteur de produits de l'érable à l'échelle mondiale, il n'est pas le seul. Le Nouveau-Brunswick, l'Ontario et des États de la Nouvelle-Angleterre comptent également leur lot de producteurs. Or ces concurrents profitent eux aussi des prix plus élevé du sirop d’érable sur les marchés, sans toutefois assumer ces effets négatifs.

Les chiffres démontrent d’ailleurs que le Québec perd constamment du terrain au profit de ses concurrents dans le marché des produits de l’érable :

  • Entre 2001-2003 et 2012-2014, la production du Québec aurait augmenté de seulement 44 %, comparativement à 56 % pour l’Ontario et pas moins de 246 % pour le Nouveau-Brunswick.
  • La part des producteurs québécois est passée à près de 95 % à 90 % de la production canadienne des produits de l’érable. Bien que faible, cette baisse est tout de même révélatrice d’une tendance inquiétante.
  • Avec une diminution annuelle moyenne de 1,2 % au cours des 10 dernières années, la part des producteurs québécois est passée de 80 % à 70 % du marché mondial. C’est principalement les États-Unis et, dans une moindre mesure, le Nouveau-Brunswick, qui en ont bénéficié.
  • À long terme, on estime que l’augmentation considérable de la consommation américaine sera principalement compensée par la production locale, ce qui, toute chose étant égale par ailleurs, diminuera les parts de marché des producteurs québécois.

À moins de développer d’autres marchés, la dominance de l’industrie québécoise risque d’être sérieusement contestée dans un avenir pas si lointain.

À l’heure où la gestion de l’offre dans les domaine du lait, de la volaille et des œufs est de plus en plus remise en question au Canada, voire même abandonnée ailleurs dans le monde, il y a également lieu de se questionner sérieusement sur la pertinence du monopole du sirop d’érable au Québec, et de ses conséquences pour l’avenir de cette industrie.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel. Lire ce billet à partir du site du Journal de Montréal.

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