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Textes d'opinion

Lettre à mes amis qui appuient le projet de loi 3

À l’automne 2012, le nouveau gouvernement Marois a proposé de hausser rétroactivement les impôts des contribuables dont le revenu excède 130 000 $ par année. L’objectif était de financer ainsi sa promesse d’abolir la taxe santé mise en place par le précédent gouvernement.

L’odieux d’une telle mesure – on vient vous chercher dans les poches de l’argent gagné huit mois plus tôt alors que vous aviez planifié votre budget en pensant qu’il était à vous – a vite fait de provoquer une vague de protestation et de faire reculer le gouvernement.

Avec son projet de loi 3 sur les régimes de retraite municipaux, le gouvernement actuel fait exactement la même chose mais, d’une certaine façon, en pire. La loi aurait pour effet d’amender les clauses de contrats de travail signés il y a des années. Concrètement, on viendrait aujourd’hui chercher de l’argent dans la poche d’employés et de retraités dans le but de résorber des déficits actuariels pour lesquels ils n’ont jamais été responsables en vertu des ententes initialement signées.

On peut bien avoir raison de soutenir que ces contrats de travail étaient trop généreux et que des avantages indus ont été obtenus par des syndicats trop puissants, mais c’est là une autre question qui doit se régler d’une autre façon, en faisant notamment les amendements requis au Code du travail, pour l’avenir.

Le point crucial est qu’une telle mesure irait totalement à l’encontre de ce que devrait être une société libérale, une société fondée sur la règle de droit et non sur l’arbitraire gouvernemental.

Pourtant, plusieurs de mes amis qui partagent mon désir d’avoir un gouvernement moins interventionniste, moins dépensier et plus respectueux de la liberté des citoyens appuient ce projet de loi, présumément parce qu’il s’inscrit, selon eux, dans cette vision.

Mes amis, je vous le demande, êtes-vous en faveur du droit et du respect des contrats simplement quand ça fait votre affaire?

Mes amis, je vous le demande, s’opposer aux syndicats est-il toujours justifié, même lorsqu’ils défendent, aux fins d’un dossier précis, les mêmes principes fondamentaux que nous?

Mes amis, je vous le demande, ne pensez-vous pas qu’on crée un dangereux précédent en légitimant ainsi une mesure gouvernementale qui pourrait demain s’appliquer à d’autres et se retourner contre, notamment, les gens d’affaires?

J’ai déjà écrit dans un récent article publié par La Presse Débats que, dans ce dossier, je ne défends ni les syndicats, ni les employeurs ni qui que ce soit en particulier, mais plutôt un certain nombre de principes généraux nécessaires à une économie libre et efficace. Lorsque des principes fondamentaux sont en jeu, nous devrions nous allier avec tous ceux qui partagent notre position, même lorsque c’est pour des raisons intéressées ou opportunistes.

C’est pourquoi je n’ai aucune hésitation à saluer la volte-face du Parti québécois et à féliciter son porte-parole en matière de travail, Alain Therrien, qui déclarait plus tôt cette semaine :

« Il y a des choses qui sont impossibles à tolérer. Quand on parle de rouvrir des conventions collectives signées de bonne foi entre les intervenants, qu’un tiers parti arrive et dise on va changer la donne sans considérer l’opinion de quiconque, ce sont des ruptures de contrats. En agissant ainsi, la parole et la signature des contrats ne valent plus rien. C’est grave. »

En effet, c’est grave, très grave.

Dans le fond, mes amis, en appuyant ce projet de loi, vous appuyez la même logique du « au plus fort la poche » que vous avez toujours dénoncée chez des syndicats corporatistes qui utilisaient le tordage de bras et la prise en otage de la population pour obtenir ce qu’ils recherchaient.

Mes amis, si nous voulons faire du Québec une société plus juste et plus libre, il faudra que le processus pour y arriver soit lui aussi légitime. Sinon, notre société de droit va continuer de s’effriter et la « victoire » ici remportée contre les syndicats pourrait bien s’avérer très amère pour vous, et ce, dans un avenir pas si lointain.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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