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Textes d'opinion

Délire kafkaïen (la suite)

Ma chronique de la semaine dernière traitait du projet de la ministre des Transports, Julie Boulet, de créer une agence qui se consacrerait à la construction, à la gestion et à l’entretien des structures du réseau routier gérées par Québec. Elle espère que cette nouvelle entité gouvernementale réussira là où le ministère des Transports a échoué.

J’ai exprimé mon scepticisme à l’égard de cette initiative, car la lourdeur bureaucratique, l’inefficacité, l’absence d’obligation de rendre des comptes et l’insouciance sont des conséquences intrinsèques au fonctionnement de l’État, et il n’y a aucune raison pour que cette nouvelle agence fasse exception. Pourquoi porter un jugement aussi sévère sur cette entité dont le rôle est, en principe, de servir la population?

De nombreux auteurs ont tenté d’expliquer l’inefficacité de l’État, mais personne n’a été aussi clair, concis et éloquent que l’a été Milton Friedman, récipiendaire du prix Nobel d’économie de 1976 et l’un des économistes les plus influents du 20e siècle.

Friedman identifie quatre façons de dépenser l’argent:

  • (1) dépenser son propre argent pour soi-même, auquel cas on fait preuve de prudence, on s’assure de la qualité du produit et on veille à en avoir pour son argent;
  • (2) dépenser son propre argent pour quelqu’un d’autre, par exemple pour l’achat d’un cadeau. Dans ce cas, on accorde moins d’attention au produit qu’à la somme dépensée;
  • (3) dépenser l’argent de quelqu’un d’autre pour soi-même. C’est ce qui se produit lorsqu’on notre employeur nous offre une allocation de dépenses. Le prix devient alors secondaire, mais on est exigeant quant à la qualité du produit;
  • (4) dépenser l’argent de quelqu’un d’autre pour autrui. C’est le cas des gouvernements qui dépensent l’argent des contribuables pour fournir des services aux citoyens. Ils ne veillent ni à la dépense ni à la qualité, car personne n’est tenu d’assumer les conséquences de ses décisions.

On comprend donc pourquoi, malgré un budget de 3 milliards de dollars, le ministère des Transports a failli à sa tâche. On comprend également que la création d’une nouvelle agence ne peut être la solution, puisqu’on ne fait que remplacer un groupe de fonctionnaires par un autre groupe de fonctionnaires chargés de dépenser l’argent de quelqu’un d’autre pour autrui.

Albert Einstein avait défini la folie comme étant le fait «de faire et de refaire la même chose en espérant des résultats différents». Ne soyons donc pas naïfs au point de croire qu’une nouvelle agence et qu’un État plus lourd constituent la solution au délabrement des infrastructures!

Il existe bien sûr des solutions de rechange aux méthodes actuelles, mais encore faut-il consentir à sortir des sentiers battus. On pourrait, par exemple, intensifier les partenariats public-privé, financés par le péage, ce qui permettrait de réaliser avantageusement un grand nombre de projets de réfections routières. D’autres expériences ont été menées et les résultats ont été concluants. Pourquoi ne pas tenter l’aventure?

Évidemment, beaucoup de gens s’opposent à laisser plus de place au privé, partant du principe que quiconque cherche à faire du profit est nécessairement un émissaire du diable. Pourtant, personne ne craint que les toits des supermarchés, des cinémas ou des boutiques lui tombent sur la tête. Mais tout le monde retient son souffle en passant sous un viaduc ou sur un pont. N’y a-t-il pas ici matière à réflexion?

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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