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Textes d'opinion

Mondialiser l’agriculture: Pourquoi pas?

Le commerce international de produits agricoles reste l’un des secteurs économiques les plus réglementés. L’agriculture n’était pas incluse dans les premiers accords du GATT, conclus après la Seconde Guerre mondiale. Les accords régionaux, en Europe notamment, ont plutôt aggravé la situation en privilégiant le protectionnisme et l’interventionnisme et en renforçant la réglementation du commerce aux dépens du véritable libre-échange.

Pour compliquer encore les choses, voilà qu’éclatent de nouvelles controverses sur les organismes génétiquement modifiés et l’utilisation d’antibiotiques ou d’hormones de croissance sur les animaux de ferme. Le commerce agricole suscite aujourd’hui des débats presque métaphysiques sur les mérites de produits artisanaux, qu’on prétend porteurs d’une identité locale, par opposition à des goûts planétaires uniformes. On nous vante aussi la supériorité de la vie simple du bon vieux temps par rapport aux dangers de la surproduction et du consumérisme modernes. Mais ne s’agirait-il pas là d’arguments protectionnistes réchauffés, nappés d’une nouvelle sauce?

Les opposants au libre-échange dans l’agriculture se sont trouvé un nouveau champion en la personne de José Bové, porte-parole du syndicat des fermiers en France, la Confédération paysanne. M. Bové est rapidement devenu une star internationale après avoir participé au démantèlement d’un restaurant McDonald’s en construction il y a deux ans. Il a passé trois semaines en prison, et on l’a vu ensuite protester contre l’OMC et la mondialisation à Seattle. Plus récemment, il attirait l’attention au sommet antimondialisation de Porto Alegre, où il fut de nouveau arrêté après avoir détruit des cultures expérimentales dans un laboratoire de Monsanto.

Truffé de sophismes, le discours nostalgique de Bové n’est au fond qu’un réquisitoire protectionniste. En gros, il prétend que certaine pays (au premier chef les États-Unis) utilisent des méthodes agricoles efficaces mais dangereuses pour inonder la planète de leurs produits bon marché, ce qui conduirait à la destruction de l’agriculture locale et du mode de vie traditionnel dans les autres pays. En résulteraient aussi des catastrophes sanitaires et une malbouffe endémique. Selon Bové, les mouvements paysans comme celui qu’il dirige «contestent la volonté de quelques régions de vouloir produire l’agriculture pour le monde entier». (Citation tirée d’une entrevue au quotidien Le Devoir, 23 novembre 2000)

On ne doit pas se surprendre que McDonald’s ait été choisi comme symbole de cette standardisation planétaire. On peut toutefois se demander comment la chaîne de restaurants réussit à « imposer » ainsi ses produits. Personne n’est forcé de manger des Big Macs. Il semble que McDonald’s offre simplement un produit attrayant à prix abordable, qui plaît à des millions de gens partout dans le monde. La véritable cible des attaques de M. Bové, au-delà du symbole de l’envahisseur étranger, c’est la liberté de ses compatriotes de choisir leur nourriture.

Les consommateurs ne sont jamais bien servis dans un marché captif. Ils ont invariablement moins de choix et doivent payer plus cher pour les produits qui leur sont proposés. Le libre-échange, au contraire, leur donne plus d’options, il encourage la compétition, il force les producteurs à mieux répondre aux besoins des consommateurs, il réduit les prix et il enrichit tout le monde en définitive. Cet argument classique en faveur du libre-échange n’a jamais été démenti.

M. Bové a pris le devant de la scène parce que, en plus de mener sa lutte au nom des producteurs français, il tente de rallier les lobbies de fermiers ailleurs dans le monde tout en s’alliant avec d’autres groupes opposés à la mondialisation. Il déplore que «l’autosuffisance» ne soit plus possible et que les petits fermiers du tiers-monde ne puissent plus concurrencer les produits bon marché des pays riches. Et pourtant, l’efficacité et la productivité des pays riches ne menacent nullement les pays pauvres; elles ne peuvent, au contraire, que leur apporter des bénéfices.

Lorsque des produits agricoles à bas prix sont disponibles sur le marché dans les pays pauvres, leurs citoyens peuvent soit acheter plus d’aliments avec leur petit revenu, soit acheter la même quantité d’aliments et consacrer le reste de leur argent à d’autres achats qui amélioreront leur niveau de vie. D’une façon ou d’une autre, les consommateurs ont ou bien plus d’argent dans leurs poches ou bien plus de nourriture dans l’estomac. Il est indéniable que cela est à leur avantage.

Qu’en est-il des paysans? En tant que consommateurs de nourriture, ils en profitent comme tout le monde. En tant que producteurs, ils peuvent réinvestir pour rester compétitifs face aux produits importés, ils peuvent se lancer dans de nouvelles cultures pour lesquelles il existe une demande non satisfaite par les importations ou encore, s’ils se trouvent trop improductifs pour prospérer dans l’agriculture, ils peuvent quitter leur champs et réinvestir leur capital, comme leur force de travail, dans d’autres activités. Chacune de ces trois options mènera en bout de ligne à la production de plus de nourriture et de biens en général dans ce pays, lesquels s’ajouteront à la plus grande quantité importée. C’est d’ailleurs de cette façon que les pays riches se sont transformés et ont vu leur agriculture, tout comme leurs secteurs manufacturier et de service, devenir toujours plus productifs.

Les communautés préindustrielles, qui vivaient en autarcie, étaient invariablement pauvres. Leurs fermiers n’auraient pas la capacité productive pour nourrir les milliards de consommateurs que comptent notre planète aujourd’hui. Un retour à ce modèle archaïque, comme le réclame José Bové, signifierait la famine pour des populations entières dans les pays riches. Si on l’appliquait au tiers-monde, il mettrait un frein à toute tentative d’encourager le développement économique dans ces pays. Cette vision du petit fermier indépendant qui vend ses produits à ses voisins appartient au passé, et l’on doit s’en réjouir.

 

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.

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