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Textes d'opinion

Les cités industrielles, une politique discutable

Le gouvernement québécois accorde depuis quelques années de généreuses exemptions fiscales à des entreprises de la «nouvelle économie» pour les inciter à déménager à l’intérieur de périmètres désignés comme la Cité Multimédia et la Cité du commerce électronique de Montréal.

Cette politique, nous dit-on, cherche à revitaliser certains secteurs urbains et à créer des synergies entre sociétés d’un même domaine. Comme le souligne un document du ministère des Finances, le Québec «a véritablement joué un rôle de précurseur» avec cette initiative, car aucun autre gouvernement n’a jamais lié de façon aussi directe la fiscalité et la concentration géographique d’un secteur d’activité.

Pourtant, les concepteurs de cette politique n’ont jamais appuyé leur démarche sur des réussites étrangères ou des études détaillées, ce qui est pour le moins étonnant dans la mesure où des estimations prudentes en évaluent le coût à plus de deux milliards de dollars pour la prochaine décennie. Il était donc normal que l’Institut économique de Montréal (IEDM) analyse en profondeur le bien-fondé de cette approche. M. Pierre Desrochers, notre directeur de la recherche et un spécialiste du développement économique local, s’est acquitté de cette tâche.

Selon l’étude de M. Desrochers (disponible sur notre site Web), rien ne laisse croire que les «cités industrielles» soient rentables pour les contribuables québécois ou constituent un outil de développement efficace.

Pierre Desrochers remarque d’abord que l’on retrouve des concentrations géographiques d’entreprises d’un même secteur dans tous les pays et à toutes les époques (pensons à Hollywood ou au district de la fourrure à Montréal). Ces concentrations naturelles permettent aux entreprises de réduire les coûts de transaction avec leurs acheteurs et leurs fournisseurs. Elles facilitent aussi la création d’un marché de l’emploi plus stable pour la main-d’oeuvre spécialisée. Leur ampleur varie toutefois d’un secteur industriel à l’autre. Par exemple, les grossistes en diamants new-yorkais sont presque tous concentrés sur la 47e rue à Manhattan, tandis que l’industrie aérospatiale de Los Angeles est dispersée à la grandeur de la métropole du sud de la Californie.

Aucune analyse sérieuse du phénomène ne montre toutefois la nécessité d’une proximité aussi immédiate que celle souhaitée par les concepteurs des cités industrielles québécoises. Il n’y a donc pas de raison de croire qu’il est nécessaire de dépenser des milliards de dollars pour regrouper des firmes qui le feraient de toute façon spontanément à une échelle plus appropriée.

M. Desrochers remarque également que les contacts avec les fournisseurs et les clients situés à l’extérieur de la région d’attache d’une entreprise ainsi qu’avec des firmes des autres secteurs d’activités sont tout aussi essentiels. Plusieurs études indiquent même qu’il se crée davantage d’emplois dans les villes plus diversifiées que la moyenne. Si tel est le cas, la politique des cités nuit au développement des entreprises en forçant une spécialisation excessive.

De plus, en soutenant financièrement le déménagement d’entreprises d’un quartier à un autre, cette politique porte un préjudice important aux parcs industriels, aux propriétaires immobiliers et aux commerces situés hors des zones désignées. L’une des principales victimes de ce processus est, ironiquement, le gouvernement du Québec lui-même! Il est en effet le plus grand propriétaire immobilier de Montréal par l’intermédiaire de la Caisse de dépôt et placement.

Les propriétaires de plusieurs immeubles anciens, à loyer abordable, subissent eux aussi le contrecoup de cette politique. Bien des jeunes entreprises, qui ne disposaient pas de beaucoup de ressources, occupaient ce genre d’immeuble et contribuaient par le fait même à les revaloriser. Elles revitalisaient aussi les quartiers environnants. Malheureusement, les subventions au déménagement ont provoqué tout un exode. La création de sites désignés a également entraîné le report de plusieurs projets de construction d’immeubles à bureaux dans d’autres secteurs qui ne peuvent rivaliser avec les loyers subventionnés.

Il est vrai que la ministre des Finances, Pauline Marois, a finalement élargi les limites de la Cité du commerce électronique dans son dernier budget, mais le principe d’un périmètre désigné pose toujours problème, comme l’ont rappelé certaines entreprises montréalaises et des organismes comme la Société de développement du boulevard Saint-Laurent. Ce dernier secteur est toujours exclu du périmètre élargi.

L’intention du gouvernement québécois de réduire le fardeau fiscal des entreprises pour favoriser la création d’emplois est louable, mais il n’y a aucune raison de croire que les conditions géographiques associées à ces avantages fiscaux sont bénéfiques. Au lieu d’offrir des incitatifs géographiquement ciblés, le gouvernement du Québec devrait baisser les impôts pour tous et laisser les entrepreneurs décider eux-mêmes de l’emplacement de leurs bureaux ou des liens à développer avec leur milieu. Nos entrepreneurs en multimédia et en commerce électronique sont parmi les plus dynamiques au monde. Ils sont tout à fait capables de prendre ces décisions.

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.

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