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Textes d'opinion

Combien? On sait que les défusions coûteraient cher; mais quel serait le coût de maintenir les mégavilles?

Dans le débat sur les fusions et défusions municipales, on a beaucoup parlé, comme il se doit, de démocratie et de droit du public à décider. Parmi les partisans des fusions, bien peu affirment ouvertement que les populations locales ne devraient pas avoir un droit de regard sur leurs institutions démocratiques. Ils amènent par contre un argument de nature économique qui visent à court-circuiter le débat: qu’on ait été pour ou contre, les fusions sont maintenant chose faite, et des défusions coûteraient tellement cher qu’il vaudrait mieux conserver les nouvelles villes et fermer le dossier.

Les opposants aux défusions ont sans doute raison de soutenir qu’une telle démarche coûterait cher et causerait d’importants maux de tête administratifs. On doit même s’attendre à pire que ce qu’on imagine étant donné que de telles démarches – fusions ou défusions – finissent par être généralement plus ardues que ce qui était initialement prévu. Mais pour se former une opinion objective, on doit aussi se demander combien coûtera à plus long terme le maintien des mégavilles, avec leur bureaucratie et leurs monopoles syndicaux. Montréal voit déjà monter la facture, avec ses syndicats qui exigent un nivellement vers le haut des conditions de travail. Les contribuables n’ont peut-être pas fini de se faire traire, la hausse des coûts de main-d’oeuvre n’étant que le premier item dans une série de hausses de coûts que risquent d’entraîner les fusions.

Loin d’entraîner des économies d’échelle comme plusieurs le prétendent, celles-ci rendront en effet le système de gestion municipale plus onéreux et plus rigide. Et cela en partie parce qu’elles amoindrissent l’important pouvoir dont disposent les citoyens lorsqu’ils peuvent choisir une ville qui leur convient en déménageant dans municipalité voisine. Cette simple potentialité peut constituer un frein important aux appétits fiscaux des autorités étatiques, de quelques paliers de gouvernement que ce soit.

Les avantages de la pluralité

Le professeur américain Charles Tiebout a démontré, dès 1956, le lien entre la satisfaction des citoyens et la pluralité des juridictions. Selon son modèle, un résidant peut difficilement influencer le coût et la qualité des services municipaux, car ces derniers sont presque toujours livrés selon une structure monopolistique. Le citoyen peut bien tenter d’influencer son conseiller municipal, mais ses désirs ne seront satisfaits que s’il fait partie d’une majorité qui pense comme lui. Et organiser une telle majorité et lui donner une voix structurer est encore plus difficile.

Tiebout a cependant montré qu’avec grand nombre de petites municipalités, les gens peuvent «voter avec leurs jambes» en déménageant dans les villes qui offrent un niveau de services publics optimal selon eux. Certains seront prêts à payer des impôts plus élevés pour obtenir des services de très grande qualité; d’autres préféreront des services moins élaborés à moindre coût. Certaines villes mettront l’accent sur le développement industriel et l’emploi, d’autres sur la verdure et les loisirs, d’autres encore sur les services aux familles. Qui plus est, chaque entité municipale subira plus de pression pour satisfaire les désirs des citoyens, parce qu’elle sera sujette à la concurrence des villes voisines. Cet avantage profite non seulement aux citoyens des banlieues, mais aussi à ceux de l’ancienne Ville de Montréal, qui jusqu’à tout récemment, avaient la possibilité de déménager à Anjou, à Saint-Laurent ou ailleurs s’ils ne pouvaient plus tolérer le fardeau fiscal de Montréal. Sans cette soupape de sûreté, ce fardeau fiscal aurait d’ailleurs peut-être été encore plus élevé.

Des preuves accablantes contre les fusions

Le modèle de Tiebout explique bien comment les grosses administrations ayant peu de concurrence ont tendance à se bureaucratiser, ainsi qu’à céder aux demandes des syndicats. Par ailleurs, le professeur David Sjoquist de la Georgia State University a analysé les coûts d’opération de 48 régions métropolitaines du sud des États-Unis. Il a observé que les coûts des services étaient moins élevés dans les régions comptant de nombreuses petites administrations municipales. Plus près de nous, le professeur Jacques Desbiens de l’Université du Québec à Chicoutimi estime que pour la majorité des services municipaux, les économies d’échelle sont déjà réalisées dans les villes de très petite taille et que ce sont plutôt des «déséconomies» que l’on observe dans le cas de regroupements de municipalités de plus de 2000 habitants.

Après avoir passé en revue de nombreuses études sur ce sujet, le chercheur Robert L. Bish a conclu que «nous avons des preuves accablantes du fait que nous trouvons les administrations les moins coûteuses dans des systèmes polycentriques de municipalités de petite et de moyenne envergure, qui passent des ententes de coopération pour fournir les services qui offrent de réelles économies d’échelle. Les grandes municipalités ne semblent pas être en mesure de coopérer de cette façon, de décentraliser leurs services ou de faire appel à d’autres mécanismes de prestation pour les services qui ne présentent pas d’économies d’échelle.»

Même un rapport commandé par la Ville de Montréal à la firme de consultants Secor en 1999 en arrivait à des conclusions similaires. Selon les auteurs: «les regroupements de municipalités n’aboutissent pas nécessairement, ni surtout automatiquement, à des économies monétaires. Il existe peu d’économies d’échelle dans les fonctions municipales et ces économies sont atteintes à des niveaux de population relativement bas. L’un des mythes les plus tenaces est qu’on puisse faire des économies importantes en réduisant le nombre de maires et de conseillers dans les petites municipalités de banlieue.»

Un mécontentement prévisible

Les fusions actuelles suscitent déjà les mécontentements, et les bénéfices anticipés ne se matérialiseront peut-être pas. On pouvait le prévoir après ce qui s’est passé à Toronto et Halifax, qui ont vécu les mêmes expériences quelques années plus tôt. Même à New York, plus d’un siècle après le regroupement, les citoyens attendent encore les fameuses «économies d’échelle».

À New York, Los Angeles, Miami, Houston, Atlanta et dans d’autres villes américaines, des mouvements résistent à l’expansion des villes centrales, favorisent l’incorporation de nouvelles municipalités et tentent même de détacher des quartiers. Le cas du borough new-yorkais de Staten Island, où les deux tiers des résidants ont voté en faveur de la sécession lors d’un référendum consultatif en 1993, est sans doute le plus connu.

Le professeur Howard Husock de la Kennedy School of Government explique comment cette solution permettrait de redonner vie à de vieux quartiers centraux: Au lieu d’accroître la taille des villes, nous devrions les diviser en un ensemble d’administrations indépendantes à partir des quartiers existants. Ces administrations établiraient leur propre taux d’impôt foncier, éliraient leurs propres représentants et donneraient à leurs résidants le même contrôle et le même sens de la communauté que leurs concitoyens des banlieues considèrent comme allant de soi. Les habitants de ces villes pourraient consacrer les fonds publics aux dossiers qu’ils considèrent les plus importants. Libérés de la bureaucratie centralisée, ces quartiers, y compris les plus vieux et les plus pauvres, pourraient enfin prospérer. Quant à la question de savoir comment payer pour entretenir ou construire de coûteux réseaux d’infrastructure régionale: ces administrations locales indépendantes pourraient coopérer dans une confédération flexible, ou au sein d’organismes régionaux mis sur pied dans un but spécifique, pour atteindre cet objectif.

Faut-il défusionner? Il y a évidemment du pour et du contre. Mais peu importe le côté où l’on penche, l’honnêteté intellectuelle requiert un examen des coûts et avantages des deux options. Et celle de la défusion n’est peut-être pas la plus coûteuse malgré les traumatismes passagers d’une réorganisation. Le statu quo, lui aussi, a un coût. Le citoyen doit non seulement avoir le droit de voter aux urnes, il doit aussi garder son droit de «voter avec ses pieds», en conservant son choix entre diverses administrations municipales et ce sans avoir à s’expatrier à mille lieux à la ronde.

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.

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