fbpx

Op-eds

Téo Taxi est-elle « trop grosse pour tomber »?

L’entreprise de taxis électriques Téo Taxi n’en finit plus de chercher des nouveaux fonds. C’est son droit, beaucoup d’entreprises prometteuses le font. La plupart du temps, ça ne concerne que ces entreprises et leurs investisseurs, et on n’a pas à s’en mêler. Toutefois, lorsque ces investisseurs sont principalement des sociétés publiques, comme la Caisse de dépôt et Investissement Québec, et que certains commencent à utiliser l’expression « trop grosse pour tomber », on passe dans le domaine des politiques publiques.

Mais qu’est-ce que signifie le fait d’être « trop grosse pour tomber », et est-ce que Téo Taxi l’est? L’expression signifie qu’une entreprise est tellement importante, soit par sa taille, soit par son rôle, qu’il est capital qu’elle soit renflouée, peu importe le prix. La première utilisation de Too Big to Fail remonte au milieu des années 1980 et à la faillite d’une grande banque de Chicago, la Continental Illinois.

Cette banque était importante par sa taille, mais aussi parce que son modèle d’affaires lui demandait de ne pas se financer par les dépôts des particuliers, comme beaucoup de banques qui ont pignon sur rue, mais par les dépôts d’autres banques. La plupart des banques américaines avaient donc prêté de l’argent à la Continental Illinois. Le directeur d’une des principales autorités financières américaines a utilisé l’expression Too Big to Fail parce qu’il croyait que si cette « grosse banque » faisait faillite, beaucoup d’autres banques auraient elles aussi subi des pertes financières importantes qui auraient pu les mener elles-mêmes à la faillite. À l’époque, l’État a donc volé au secours de la Continental Illinois, ce qui a fait en sorte que ce sont les contribuables qui ont assumé les risques associés à cette faillite.

Le problème, c’est qu’on sait maintenant que les autorités financières étaient dans les patates. Des calculs ont été faits quelques années après cette crise. Même en supposant que la Continental Illinois aurait subi des pertes deux fois plus importantes que celles qu’elle a connues, aucune autre banque n’aurait fait faillite. Et même avec un scénario ultra-pessimiste et complètement irréaliste quant à l’argent que cette banque chicagolaise a réellement perdu, moins de 1 % des banques américaines auraient subi des pertes assez importantes pour faire faillite elles aussi. Le Too Big to Fail était une image frappante, mais rien de plus qu’un mythe.

Téo Big to Fail?

Pourquoi est-ce que ces anecdotes à propos d’une faillite dans une autre industrie, dans un autre pays, sont importantes? Parce que c’est pas mal toujours ainsi quand on invoque l’idée qu’une entreprise est « trop grosse pour tomber ». Même dans le cas d’une de ces plus récentes et spectaculaires faillites, Lehmann Brothers, puisque l’entreprise qui fut touchée le plus durement, une banque japonaise, ne fut exposée qu’à hauteur de 6 % de son capital. Un montant bien trop peu suffisant pour mettre son existence en péril.

Pourquoi est-ce que c’est le cas? Parce que les investisseurs connaissent très bien les vertus de la diversification et savent qu’on ne doit pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Même un petit investisseur du dimanche sait qu’il ne faut pas tout miser sur le même cheval.

Bien entendu, les gens qui en appellent au soutien et aux sauvetages de l’État sont créatifs dans leur utilisation de ce concept. Dans le cas de Téo Taxi, ils ne veulent évidemment pas dire que les investisseurs qui ont prêté de l’argent à l’entreprise vont être en difficulté financière. Ils plaident au contraire que cela va envoyer un message négatif quant à la viabilité d’une multitude de start-up montréalaises dans le transport électrique et intelligent. Ce serait dommage si c’était le cas, mais est-ce qu’un simple message négatif peut justifier n’importe quelle dépense publique? Et, surtout, est-ce que le fait qu’une start-up donnée connaisse des difficultés, voire fasse faillite, signifierait la fin du capital de risque? Un peu de sérieux!

Le propre des start-up, c’est d’être des aiguilles dans des bottes de foin. Avant même d’investir, on sait déjà que ce n’est que le projet de quelques-unes d’entre elles qui va aboutir. Par définition, une start-up, c’est un pari, c’est très risqué, et c’est bien souvent éphémère. Au contraire, c’est de les sauver à tout prix qui enverrait un très mauvais message à l’effet que les investisseurs n’ont plus à faire leurs devoirs puisque l’État sera toujours là pour les sortir du pétrin.

Je souhaite à Téo Taxi et à toutes les autres entreprises montréalaises œuvrant dans le milieu des transports du succès. Toutefois, ce succès ne doit pas venir à n’importe quel prix. Aucune entreprise n’est « trop grosse pour échouer ». Jamais. Une économie sans faillite, ce serait comme une école sans discipline. Demandez aux enseignants ce qu’ils en pensent…

Mathieu Bédard is Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

Back to top