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Un aspect clé du « modèle scandinave » oublié par certains

Le taux marginal de l’impôt sur le revenu des particuliers et le taux de syndicalisation sont significativement plus élevés au sein des pays scandinaves que ce que l’on retrouve chez la plupart des autres pays économiquement développés. Mais ceci n’empêche pas les pays scandinaves d’être malgré tout parmi les plus prospères au monde.

À partir de ces faits, certains en concluent que ces pays prouvent qu’il existe une alternative viable au capitalisme, et que le secret des impôts des particuliers élevés est donc, en soi, un ticket vers la prospérité.

Mais ces lieux communs ne présentent, probablement volontairement, qu’un côté de la médaille.

Pour commencer, on « oublie » que ces pays ont un parti pris sans équivoque pour la livraison concurrentielle des services publics.

Un court documentaire, très intéressant et disponible en podcast, a recensé certains de ces mythes et réalités des pays scandinaves. Les auteurs, Steve Davies et Kate Andrews, de l’Institute for Economic Affairs (IEA), examinent jusqu’à quel point on peut qualifier ces pays de « socialistes », ou même simplement d’être « à gauche ».

Davies et Andrews soulignent notamment que bien que ces pays ont effectivement connu une phase plus interventionniste dans les années 1970, alors que la taille de l’État a fortement augmenté, des réformes importantes ont eu lieu depuis, de sorte que le portrait est fort différent aujourd’hui.

On pourrait dire que les pays nordiques utilisent le capitalisme et le libre marché afin de financer les services sociaux et l’État-providence, mais ce ne serait qu’une partie de la réponse.

En fait, à certains égards, ces pays sont encore plus favorables au libre marché et plus capitalistes que les États-Unis et que le Canada! Par exemple, ils se classent tous devant le Canada en ce qui a trait à la facilité d’y mener des affaires, selon l’indice de La Banque mondiale.

De plus, leur marché du travail est également plus libre. Par exemple, aucun des pays scandinaves n’a de salaire minimum, tandis qu’au Danemark, il est particulièrement facile de mettre un employé à pied. L’État protège les travailleurs contre les aléas économiques en les aidant à acquérir de nouvelles compétences, mais il ne protège pas les postes. D’ailleurs, chaque année, environ un Danois sur quatre travaillant dans le secteur privé change d’emploi!

La Suède, le pays sans doute le plus fréquemment cité en exemple, a elle aussi une économie de marché très libre et efficace. Elle y est en outre moins réglementée qu’aux États-Unis et au Canada. La raison est que la Suède, comme la Norvège et la Finlande, tend à réglementer en termes généraux, sur des principes, plutôt qu’en cherchant à prévoir chacune des éventualités de façon très détaillée. Il est donc relativement facile pour les entreprises suédoises de se conformer aux objectifs sans s’empêtrer dans les détails bureaucratiques, notent les auteurs du documentaire. Sans qu’il n’y ait évidemment une liberté totale, l’environnement d’affaires y est largement favorable à l’entrepreneuriat. Et l’impôt sur le revenu des entreprises y est fort compétitif.

Produire plutôt que redistribuer

Cependant, il est vrai que les niveaux de taxation sont très élevés et que les programmes sociaux sont généralement universels. Cette approche, différente de celle « en fonction des moyens » (means-tested) qui prévaut dans la plupart des pays anglo-saxons, ne signifie pas nécessairement que l’État dépense plus. Elle produit par contre moins d’effets pervers. On évite ainsi les pièges à chômage ou à pauvreté, qui surviennent lorsqu’il y a peu ou pas d’avantages à travailler plus, ou même simplement à travailler.

Également, bien que les pays scandinaves soient plus égalitaires, ils tendent à moins redistribuer par la fiscalité. Contrairement à une certaine gauche très bruyante au Québec et en Amérique du Nord, on a compris là-bas que des politiques de redistribution ne feraient que ralentir la croissance économique et appauvrir tout le monde. Les résultats intéressants obtenus par les pays scandinaves ne sont donc pas le fruit d’un État très interventionniste, mais plutôt ceux d’une économie très productive.

On retrouve cette valorisation de l’innovation et de la concurrence jusque dans les services que l’État fournit aux citoyens. Le système de santé suédois est par exemple fortement décentralisé et fait une large place à des fournisseurs privés tout en maintenant son caractère universel, ce qui permet à certains hôpitaux de surclasser des établissements comparables au Québec.

En somme, les pays scandinaves proposent un modèle différent du nôtre, où l’État occupe une place très spécifique pour ce qui est de garantir l’accès à différents programmes sociaux mais, surtout, où le capitalisme et le libre marché jouent un rôle primordial. Comme quoi si on veut invoquer un modèle, on doit le copier jusqu’au bout, et non seulement la partie qui nous arrange!

Michel Kelly-Gagnon is President and CEO of the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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