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France : pourquoi autant d’opposition à la loi Travail?

Des manifestations ont lieu partout en France depuis plusieurs semaines pour protester contre la loi Travail. D’abord menées par le mouvement « Nuit debout », les grèves se sont maintenant étendues aux entreprises pétrolières créant des pénuries d’essence dans 20 % des stations essences française, puis aux centrales nucléaires, menaçant ainsi de complètement immobiliser le pays.

Depuis l’étranger, cette situation peut paraître abracadabrante. Il n’est pas non plus facile, avec nos regards et nos référents nord-américains, d’interpréter la loi Travail. Pour comprendre cette crise, il faut d’abord être conscient du caractère singulier du droit du travail français.

L’une des particularités du marché du travail français est sa rigidité. Tout y est dicté par le code du travail, qui fait aujourd’hui 3809 pages. Par comparaison, au Québec il fait 1398 pages. En Suisse, il n’existe pas de code du travail à proprement parler, mais le code des obligations fait 492 pages, alors qu’il comprend aussi le code du commerce.

Cette législation excessive fait qu’il n’y a, dans les relations entre les employeurs et les salariés, que peu de place pour la négociation et les ententes de gré à gré. Ce qui, au Québec, serait du ressort du contrat de travail et des ententes de bonne foi est en France décidé par le code du travail. Tout ou presque y est dicté et il est largement admis qu’il penche démesurément en faveur des salariés.

L’exemple le plus emblématique de cette rigidité et ce déséquilibre est la difficulté à licencier des travailleurs. Les entreprises ne peuvent le faire que pour un nombre très limité de raisons, qui doivent être soigneusement documentées par l’entreprise.

Bien que cela puisse sembler raisonnable de demander ce genre de choses de la part d’un employeur, dans les faits c’est un exercice difficile qui peut s’étendre sur plusieurs mois et qui risque d’être invalidé par les tribunaux du travail. Ainsi, il est arrivé à plus d’une reprise que ces tribunaux décident que, par exemple, voler un petit montant, lorsque c’est un événement isolé, n’est pas un motif suffisant pour licencier un employé, et que l’entreprise soit forcée de le réintégrer dans son ancien travail.

Ces tribunaux sont eux aussi une particularité bien française. On n’y trouve pas de juge, mais des représentants syndicaux et patronaux. N’étant pas des professionnels du droit, 65 % de leurs décisions vont en appel et 72 % de ces appels résultent en une infirmation du jugement, des taux beaucoup plus importants que pour n’importe quel autre type de tribunal. Leurs décisions sont difficiles à prévoir, rendant le droit du travail encore plus compliqué et coûteux pour les employeurs.

Pourtant, la loi Travail, à laquelle s’opposent les manifestants et les syndicats, fait relativement peu pour régler cette rigidité et ce déséquilibre. Elle ne modifie pas vraiment les possibilités de licencier, mais officialise les règles de jurisprudence qui sont déjà suivies par les tribunaux. Les critiques se concentrent surtout sur l’article 2 de cette loi, qui prévoit que pour le nombre maximal d’heure de travail, les temps de repos et les congés payés, les négociations au sein des entreprises passeront avant les conventions collectives des secteurs. C’est une façon de décentraliser les négociations et de diminuer l’immense pouvoir des syndicats.

Le pouvoir syndical français, sa capacité de nuisance et ses grèves constantes sont encore d’autres particularités difficiles à comprendre de ce côté-ci de l’Atlantique. Pendant 40 ans, soit jusqu’en 2008, cinq syndicats ont joui d’une « présomption irréfragable de représentativité », signifiant qu’ils n’avaient pas vraiment besoin de membres pour faire autorité durant toutes sortes de négociations. Ce privilège, ainsi que les subventions opaques dont ils ont joui, leur ont permis de se radicaliser et de développer des capacités de nuisance publique efficaces pour obtenir encore plus d’influence lors des négociations, sans avoir à se soucier de l’adhésion des travailleurs. Cela a mené, au fil du temps, à la dérive actuelle où les syndicats détiennent un pouvoir politique immense, alors que seulement 7 % des travailleurs, ou 3 % des Français, en sont membres, soit l’un des taux les plus faibles de l’OCDE.

Pourtant, la rigidité du droit du travail français, ainsi que la mauvaise réputation que leur valent leurs mouvements sociaux, est très largement considérée comme l’une des principales raisons du chômage élevé, atteignant 24,7 % chez les jeunes de moins de 24 ans (contre 13,2 % au Canada) et de la croissance faible en France. L’économie bat de l’aile et les conditions de vie stagnent.

Somme toute, une façon d’interpréter la loi Travail peut être que, dans un certain sens, elle cherche à rendre le droit du travail français un tout petit peu plus comme le droit du travail ailleurs en Occident, où les syndicats jouissent d’un peu moins de privilèges. Il n’est pas sain pour une démocratie que des organisations dont les membres comptent pour 3 % de la population jouissent d’un aussi grand pouvoir de nuisance.

Mathieu Bédard is Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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